Une solution négociée était possible depuis le début des événements. Les combats se poursuivent et l'OTAN bombarde la Libye depuis samedi 19 mars, en application d'une résolution 1973 suffisamment floue pour laisser penser que son but ultime n'était pas de soutenir la révolte mais de chasser le dirigeant libyen. Tout le monde le pense sans le dire.
N'avons-nous pas profité de l'insurrection d'une partie de la population de l'est libyen pour exercer une vendetta qui n'est pas sans calcul et qui peut engendrer un nouvel Iraq ? Le problème ne devait pas se résumer à la seule personne du dirigeant libyen mais tenir compte des spécificités du pays. Cette erreur coûte fort cher au peuple libyen que l'on voulait accompagner sur la voie d'un Depuis la levée des sanctions contre la Libye en 2004 on pouvait avoir le sentiment jusqu'à la fin 2010 que l'on renouait avec la "lune de miel" des années soixante-dix, celles où le colonel Qadhafi et son second, le commandant Jalloud, étaient reçus en France en amis, non sans voix discordantes dans la classe politique, déjà… Mais très rapidement après la proclamation de la république des masses (Jamahiriya, 1977) et la publication du livre vert présentant "la troisième théorie universelle", le guide libyen a réussi à se mettre à dos la majeure partie de la communauté internationale. A juste titre.Le financement de groupes armés en Europe et dans le monde, la participation d'éléments libyens à plusieurs attentats terrestres et aériens contre des civils et les ingérences libyennes au Tchad ont achevé d'attiser la haine à son égard. A quoi il faut ajouter la méconnaissance des occidentaux des spécificités géopolitiques et culturelles du pays et l'incompréhension du système politique libyen, mélange de marxisme arabisé associé aux alliances tribales. Dès l'instauration de l'embargo aérien de l'ONU en 1991 – qui se prolongera jusqu'en 2004 – notre niveau de connaissance de ce pays, à deux heures d'avion de la France, n'a cessé de se dégrader. Notre maigre intérêt et celui des médias se sont plus portés sur les aspects "people" de Qadhafi et de son clan que sur le fonctionnement du pays et la vie de ses habitants.
Nouvel eldorado pour les affaires depuis 2004, en pleine invasion de l'Irak, pompe à fric que l'occident désargenté utilise au maximum, réservoir d'énergies siphonné à tout va pour alimenter l'Europe, la Libye attise un intérêt néocolonial. Beaucoup de dirigeants européens allaient régulièrement mendier à Tripoli. Pour les américains, les anglais et les français, sans grand succès, à la différence des italiens, des russes, des chinois et des pays du sud-est asiatique qui a eux tous totalisaient plusieurs dizaines de milliards de dollars de contrats. Des broutilles à côté des contrats à venir…
Jamais n'avons nous joué franc-jeu avec la Libye. D'aucuns prétendaient qu'on ne le pouvait pas, que Qadhafi n'était pas fiable et que travailler avec lui eut été dangereux. Peut-être. Il est sûr que nous ne nous remettons pas de notre lent déclin en Afrique et dans le monde arabe et que notre arrogance et notre aveuglement nous empêchent d'envisager toute relation de réel partenariat, comme proposé à plusieurs reprises par la Libye et l'Union africaine pour le développement du continent. La Libye en avait les moyens, nous ne les avons plus. En bref, nous n'avons jamais pu admettre qu'un pays arabe ou d'Afrique traite avec nous d'égal à égal. Notre condescendance n'a d'égal que notre ignorance d'un monde afro-arabo- méditerranéen en mutation.
Ce n'est pas à l'occident, ni même aux membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU de diriger le monde à coups de résolutions quand cela les arrange. Ce qui aurait du compter dans nos choix sont les aspirations réelles du peuple libyen, dans toutes ses composantes, de Cyrénaïque, de Tripolitaine et du Fezzan, peuple réellement uni depuis 1969. Notre analyse erronée de la révolte d'une partie de l'est libyen, motivée par l'attentisme et la culpabilité sur les révoltes tunisienne et égyptienne nous a entrainé à prendre des décisions hasardeuses. Nos belles paroles, nos incantations et nos vœux pieux sans actions concrètes en temps et en heures ne servent pas à grand chose si ce n'est à nous donner bonne conscience et à envoyer des messages biaisés aux insurgés de tous pays. Ils ont été ainsi incités à marcher sur Tripoli, véritable mirage pour qui connaît le terrain entre Ajdabia et la Tripolitaine. Cette attitude à contretemps aura coûté des milliers de vies libyennes et n'aura à ce jour ni aidé à régler les problèmes, ni à provoquer un dialogue et la réconciliation nationale.
Aucune offre sérieuse de médiation n'a été proposée quand il était temps de le faire, juste après que l'Est fut passé sous le contrôle des insurgés par exemple. A ce moment-là, il eut fallu, avec fermeté et d'une voix unie proposer un cessez-le feu, assorti de la menace de la zone d'exclusion aérienne qui est arrivée trop tard, et d'un éventuel débarquement d'une force d'interposition internationale ou multinationale dans le golfe de Syrte. La topographie s'y prête parfaitement. 11 000 casques bleus en Côte d'Ivoire et 20 000 au Soudan, zéro pour la Libye ? Les politiques occidentaux ne savent plus dialoguer, la méconnaissance et la peur de l'Autre les en empêche. L'ONU serait-elle devenue une chambre d'enregistrement ? Ou plutôt ne voulait-on pas la voir s'interposer et gêner nos plans ?
L'occasion de faire tomber Qadhafi était trop belle et nous a aveuglé. L'action militaire en cours, que l'on entend manifestement poursuivre jusqu'au bout de la division des populations et l'ancrage des milices, a généré un véritable chaos en Libye dont le peuple se relevait à peine des treize années des sanctions précédentes. Ces erreurs coûtent cher à tous les libyens sans distinction et pour longtemps ainsi qu'aux pays riverains qui s'inquiètent. Les actions militaires en Afghanistan, en Iraq ces vingt dernières années ont-elles apporté un réel mieux vivre aux peuples ? Pourquoi en serait-il autrement en Libye ? A moins que nous ayons à nouveau besoin, très vite, d'un gouvernement plus docile pour faire le sale boulot comme rempart à l'immigration ou à AQMI, de son pétrole et de son gaz, de ses fonds souverains d'investissement dans l'économie mondiale. L'argent n'a pas d'odeur. Pas même celle de la souffrance et du sang versé par tous les libyens. Il est temps d'arrêter le désastre. Par la négociation et la réconciliation
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